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Entre chaos géopolitique et sursaut européen : quelle voie pour notre avenir ?
“Il y a des décennies où rien ne se passe; et il y a des semaines où des décennies se produisent”, Lénine

Dans ce moment de transformation et d’accélération, à l’heure où nous commémorons l’anniversaire de l’agression russe contre l’Ukraine, et alors que Donald Trump vient tout juste d’entrer en fonction, les premières annonces de son administration soulèvent déjà de vives interrogations sur l’avenir de l’équilibre mondial. C’est dans ce contexte troublé que j’ai souhaité construire une réflexion et une analyse sur la situation actuelle, afin d’essayer de dessiner des débuts de propositions pour une Europe plus souveraine et résiliente.
Les États-Unis, hier encore alliés des forces progressistes, se dressant contre le fascisme et venant sauver nos démocraties européennes lors de la Seconde Guerre mondiale, sont en train de basculer sous nos yeux. Ce pays, qui fut un temps un rempart contre la barbarie, devient aujourd’hui un marchepied pour l’extrême droite. L’Amérique qui défendait la liberté est en passe de devenir celle qui l’étouffe. L’élection de Donald Trump, et avec elle l’arrivée d’un gouvernement hostile aux valeurs fondamentales de justice sociale, de progrès et de défense des minorités, marque une rupture profonde. Déjà, les premières décisions prises aux États-Unis trahissent cette dérive : destruction des politiques climatiques, régression des droits sociaux, remise en cause des libertés fondamentales.
Et ce n’est pas qu’une affaire intérieure américaine. Ce basculement a des répercussions directes sur l’Europe. Non seulement l’allié d’hier n’est plus un soutien fiable, mais il devient un facteur de déstabilisation. Le vice-président américain ne s’est pas contenté d’annoncer des décisions contestables sur son propre sol : il est venu en Allemagne faire la promotion des idées d’extrême droite. Plutôt que de défendre les valeurs démocratiques qui ont historiquement uni nos continents, il a semé la discorde, encouragé la division et légitimé l’autoritarisme. L’Amérique qui nous protégeait devient celle qui nous fragilise. Jusqu’où laisserons-nous faire ?
Mais la menace ne s’arrête pas là. Donald Trump, dans un excès de puissance et d’arrogance, a même envisagé de faire l’acquisition du Groenland. Ce geste n’était pas seulement une provocation ; il symbolise une ingérence directe dans l’espace géopolitique européen. Une tentative de s’approprier des terres qui ne lui appartiennent pas, sans égard pour la souveraineté du peuple groenlandais et d’un État membre de l’Union européenne. Cela nous en dit long sur la manière dont les États-Unis envisagent leur rapport au monde et leur capacité à ignorer les frontières et les peuples. Il ne s’agissait pas seulement de négocier des accords économiques, mais d’une véritable menace géopolitique. C’est pour cette raison que, dans une démarche de renforcement de la souveraineté européenne, j’ai déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale pour garantir au Danemark et au Groenland la disponibilité de l’Union européenne à déployer une force militaire sur le sol Groenlandais. Cette proposition vise à protéger la souveraineté du Danemark et du Groenland, tout en affirmant la solidarité et la responsabilité géopolitique de l’Europe face à cette ingérence américaine.
L’Europe s’est trop longtemps construite autour d’un marché unique, d’une intégration économique qui devait, en théorie, garantir stabilité et prospérité. Mais elle a trop peu investi dans ce qui aurait dû en faire une véritable puissance politique : un projet démocratique solide, un modèle social fort, un engagement écologique ambitieux. À force de privilégier la dérégulation et la concurrence, nous avons affaibli la promesse d’une Europe porteuse de justice, d’égalité et de souveraineté démocratique. Pourtant, malgré ses failles, elle reste l’un des rares endroits au monde où ces valeurs progressistes sont les plus avancées. Elles sont fragiles, contestées, parfois malmenées, mais elles existent encore. Et c’est précisément ce qui est en jeu aujourd’hui : allons-nous laisser l’Europe se réduire à un simple espace marchand, ou allons-nous la transformer en une véritable puissance démocratique, sociale et écologique ?
Car ce ne sont pas seulement les attaques extérieures qui menacent l’Europe. Ce sont aussi nos propres renoncements. Le capitalisme débridé a renforcé les individualismes ; les individualismes ont nourri l’isolement ; l’isolement a ouvert la porte aux peurs, et les peurs ont été exploitées par l’extrême droite. Plutôt que de proposer des solutions, cette dernière désigne des coupables. Plutôt que de construire, elle divise. Plutôt que d’élever, elle abaisse. Et cela fonctionne. Plus la crise s’aggrave, plus les inégalités explosent, plus les citoyens se sentent abandonnés, et plus la tentation du repli grandit. Mais devons-nous nous résigner ? Sommes-nous voués à voir notre continent s’effacer de l’histoire plutôt que d’en écrire l’avenir ? Non.
L’une des menaces les plus insidieuses qui pèsent aujourd’hui sur l’Europe est celle des stratégies de déstabilisation informationnelle menées par des régimes autoritaires, comme la Russie et la Chine, mais aussi, d’une certaine manière, les États-Unis à travers leurs plateformes numériques. Le récent rapport de l’organisme VIGINUM chargé de ces questions le démontre : ces puissances exploitent les failles de nos sociétés pour les fracturer, alimentant la défiance envers les institutions démocratiques, propageant des théories du complot et amplifiant les discours extrémistes. L’usage des réseaux sociaux comme vecteurs de désinformation et d’influence étrangère favorise une fragmentation du débat public et nourrit une montée du ressentiment contre les démocraties européennes. Cette menace est d’autant plus préoccupante que certains partis politiques français, principalement à l’extrême droite, en relaient les discours et en amplifient les effets, volontairement ou par opportunisme. Dans un contexte où le Président de la République a refusé de reconnaître après les législatives de 2024 le résultat des urnes et d’accepter une cohabitation avec la gauche arrivée en tête, cette mécanique de division s’accentue et fragilise encore davantage notre cohésion nationale. La lutte contre ces ingérences informationnelles et contre leurs relais en interne est un enjeu majeur pour préserver notre souveraineté démocratique et la résilience de notre modèle républicain. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’interroger le directeur de l’AMIAD (Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense) qui a confirmé le rôle joué par l’IA et les cyber combattants français en la matière.
La France, plus que tout autre pays européen, porte en elle une histoire de résistance et de sursaut collectif. Nous sommes un peuple qui a su, à de nombreuses reprises, s’opposer aux forces de la réaction et défendre un idéal de justice sociale et d’égalité. Nous sommes une nation faite de révoltes et de révolutions, d’indignation et d’engagements. Quand d’autres s’inclinent, nous nous dressons. Quand d’autres reculent, nous avançons. Notre force, c’est notre capacité à faire collectif. Nos combats d’hier doivent inspirer nos luttes d’aujourd’hui. Nous devons défendre l’Europe, non pas comme un simple marché économique, mais comme un projet politique et démocratique. Nous devons prendre notre destin en main.
L’Europe ne peut plus être spectatrice du chaos géopolitique qui l’entoure. Nous devons être aux côtés des Ukrainiens dans leur lutte contre l’envahisseur russe, car leur combat est aussi le nôtre : celui de la liberté contre l’oppression, de la démocratie contre l’autoritarisme. Mais comment mener ce combat en restant dépendants d’un allié américain dont la fiabilité s’effrite jour après jour ? L’OTAN, autrefois un pilier de notre sécurité, devient un facteur d’incertitude, soumis aux aléas politiques d’un pays où l’extrême droite gagne du terrain. Un partenaire qui vacille n’est plus un allié, une alliance qui chancelle n’est plus une garantie.
L’Armée française : pilier de la défense européenne et souveraineté nationale
C’est dans ce contexte géopolitique troublé que je suis particulièrement investi dans la réflexion sur l’avenir de notre modèle militaire. Avec mon collègue Thomas Gassiloud, nous avons été désignés rapporteurs d’une mission d’information sur le modèle d’armée de demain qui doit trancher la question de la masse versus la haute technologie.
Cette mission a pour but de questionner les fondements de notre défense et de déterminer comment l’armée française peut être plus réactive et plus efficace face aux défis contemporains. Bien que notre armée soit l’une des plus puissantes d’Europe, elle souffre de lacunes en matière d’équipement, de stocks et de capacité de projection à long terme. L’économie de guerre, malgré les déclarations du Président, Emmanuel Macron n’est pas une réalité en France.
Ces enjeux remettent en question des dogmes et des habitudes. Le NFP et les écologistes doivent y réfléchir avec sérieux et gravité.
D’un point de vue capacitaire, l’enjeu se pose de la construction d’une Base Industrielle et Technologique de défense européenne répondant aux besoins européens. L’industrie française doit y prendre une part importante, en complémentarité avec celles des autres pays de l’Union pour garantir une autonomie stratégique réelle.
D’un point de vue opérationnel, l’Europe doit monter en puissance en s’affranchissant du cadre Berlin + (Accord de 2022 qui prévoit que l’UE puisse intervenir que l’OTAN ne le veut pas). Les propos du président des Etats-Unis niant la souveraineté du Groenland et du Danemark ainsi que la préservation de la paix et de la sécurité en Europe de l’Est, Ukraine compris, appellent un dynamisme européen réel et un recours accru aux missions de réaction sur le modèle Aigle en Roumanie.
C’est le sens de la proposition de résolution que j’ai déposée pour la constitution d’une force militaire européenne au Groenland qui vise également à mettre en lumière cette nécessité de nous affranchir de notre dépendance aux États-Unis. Cela témoigne de notre engagement à protéger non seulement notre territoire, mais aussi à garantir notre sécurité collective, dans le respect de la souveraineté des peuples européens.
Un autre domaine stratégique majeur, tant vis-à-vis des États-Unis que de la Russie, est l’enjeu énergétique. Pour que notre souveraineté soit réelle et durable, elle doit impérativement inclure une autonomie énergétique véritable. Sortir des énergies fossiles rapidement, et éviter de se tourner vers le nucléaire, qui nous maintient dépendants des russes, est une priorité. L’Europe doit ainsi accélérer la réduction de sa dépendance énergétique. Les énergies renouvelables doivent redevenir une priorité, non seulement pour limiter les impacts environnementaux, mais aussi pour garantir notre indépendance énergétique. Il s’agit également de lutter contre les financements directs ou indirects de pays tiers, rendus possibles par nos achats énergétiques, qui à leur tour alimentent leur industrie de défense et renforcent leur puissance militaire. Dans cette logique, des initiatives comme le plan REPowerEU lancé en 2022 pour réduire la dépendance au gaz russe montrent qu’il existe des solutions concrètes pour nous libérer de cette fragilité.
Une feuille de route pour une France et une Europe souveraines et résilientes pourrait retenir les axes suivants :
Ébauche de propositions pour une Europe souveraine et résiliente
- Renforcement de la souveraineté européenne : Créer une BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense) européenne, capable de répondre aux menaces extérieures sans dépendre d’alliés de plus en plus incertains. Cette option permet de jouer sur la complémentarité des industries nationales par une famille de produits européens, ensuite modulables selon les besoins nationaux dans une logique d’adaptabilité et de stocks.
- Repenser le modèle d’armée français et sa contribution à la défense collective du continent : face à de multiples priorités stratégiques, notre armée est écartelée entre des besoins de projection de puissance (groupe aéronaval autour d’un porte-avion), de défense du territoire (dissuasion nucléaire), d’entrer en premier lors des opérations militaire, de sécurité européenne (contribution à l’OTAN) et de prestige (industrie nationale, armement de haute technologie sur l’ensemble des segments). Ce modèle doit être repensé avec une priorisation forte : défense du continent européen, et de ses territoires d’outre-mer, et maintien de la paix dans le voisinage de l’Union européenne.
- Indépendance énergétique et transition écologique : Investir massivement pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles américaines et russes, tout en développant des alternatives aux importations de nucléaire civil russe.
- Un mécanisme de financement dédié à la souveraineté européenne: Un plan européen de 1000 milliards d’euros, inspiré du sauvetage des banques, pourrait être alloué à une politique de souveraineté européenne, pour moitié bénéficiant au domaine régalien (armement, renseignement, diplomatie) et pour moitié à la transition écologique, diminuant notre dépendance énergétique aux pays tiers et contribuant à notre compétitivité et notre économie.
- Stratégie de partenariats internationaux : reconstruire une légitimité européenne par la fidélité à notre système de valeurs, de la Palestine à l’Ukraine sans double standards et nouer des alliances solides bilatérales avec les pays d’Amérique du Sud, de Méditerranée et d’Afrique subsaharienne.
- Enjeu de la dissuasion nucléaire : alors que le continent européen est menacé, l’arme nucléaire française est un atout dont la doctrine est restée figée au XXe siècle. Dans le respect de la souveraineté française, se questionner sur la doctrine de notre dissuasion, quel dimensionnement capacitaire, quelle définition des intérêts vitaux européens.
Il est temps que l’Europe, avec la France en tête, assume pleinement son rôle dans la défense de ses valeurs et de ses frontières.
Plusieurs options stratégiques existent et doivent être discutées par les spécialistes, les professionnels mais aussi les citoyens, comme le demande toute stratégie nationale et européenne de temps long. Pour garantir leur efficacité, elles doivent aussi être tranchées. Je poursuis ce débat et ces réflexions dans le cadre de mes travaux à l’Assemblée nationale.