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Ne laissons pas notre modèle social s’effondrer
À l’heure où l’on remet la défense militaire de la France et de l'Europe au cœur de nos préoccupations, l'enjeu n'est pas seulement de protéger nos frontières, mais aussi notre démocratie.

Une question légitime se pose alors : peut-on prétendre défendre notre démocratie tout en laissant notre modèle social s’effondrer ?
Depuis plus de deux siècles, la tradition politique française s’est construite autour d’un gouvernement concerté, d’un tissu associatif riche et d’une protection sociale élaborée par le bas. Aujourd’hui, c’est tout ce modèle social à la française qui est menacé et avec lui, notre démocratie.
Sous prétexte de simplification et d’efficacité budgétaire, la droite et l’extrême-droite organisent le démantèlement pur et simple de notre démocratie sociale, et cela à tous les échelons politiques. Cette semaine sera examiné en séance un amendement au Projet de Loi de Simplification qui vise à supprimer 32 organismes de la société civile organisée, qui font vivre la démocratie et jouent un rôle d’alerte ou d’évaluation des politiques publiques. Parmi eux, les CESER, un espace unique de dialogue entre associations, mutuelles, syndicats, entreprises qui apportent des avis et rapports permettant aux régions de prendre des décisions éclairées et équilibrées. Cet amendement, porté par un député Les Républicains, a été adopté grâce aux voix de droite et d’extrême-droite.
Pendant ce temps, les syndicats sont méprisés par le Premier ministre lui-même dans le conclave sur les retraites. Les associations, quant à elles, sont précarisées par une course aux financements permanente et une logique d’appels à projets qui supplante les financements structurels et pérennes. Une partie des travailleurs et travailleuses des centres sociaux et associations passent aujourd’hui un temps de travail considérable à remplir des dossiers de demandes de financements, plutôt que de s’occuper des publics qu’ils accompagnent. Ces structures sont placées dans des rôles de prestataires, alors qu’elles sont la continuité des services publics. Les financements baissent, les charges augmentent et les primes salariales que les associations du médico-social doivent verser ne sont pas compensées par l’État. A l’instar de la solidarité, l’Etat organise la dégradation du système de santé. À l’heure où la Sécurité Sociale diminue les prises en charge des dépenses de santé des Français, ce sont les Mutuelles qui prennent le relai tout en voyant leur taxe augmenter.
La culture est abandonnée comme à Lorient – où le Festival Les Aventuriers de la Mer n’aura pas lieu cette année faute de soutien de la Mairie et où la scène de musique bretonne Amzer Nevez vient de fermer ses portes – quand elle n’est pas attaquée frontalement en région Pays-de-la-Loire.
Ce sont des postes qu’on supprime, ce sont des activités qu’on cesse de proposer, ce sont des publics qu’on arrête d’accompagner.
Ce n’est pas un simple « désengagement ». C’est une stratégie de délitement, un abandon organisé de tout ce qui constitue le cœur de notre modèle social et de notre tradition française : la solidarité, la participation citoyenne, la démocratie vivante.
La France a pourtant une tradition forte : celle d’une société civile organisée, d’un dialogue social structuré, d’une démocratie enrichie par la délibération et la coopération, d’un tissu associatif riche qui fait vivre nos territoires et qui maintient le lien social. Les mutuelles, les coopératives ouvrières, les caisses de solidarité, les associations d’entraide, les centres sociaux… ont bâti, depuis le XIXe siècle, une protection sociale par le bas, complémentaire des services publics.
Renoncer à notre modèle social, attaquer les corps intermédiaires, abandonner nos associations, s’en prendre à la culture, c’est non seulement favoriser l’accès au pouvoir de l’extrême-droite, mais c’est aussi leur laisser les mains totalement libres dans le cas où cela arriverait. Alexis de Tocqueville nous le disait déjà “Les associations sont l’une des premières garanties de la liberté démocratique ; concentrant les efforts d’esprits différents et divergents vers un seul objectif, elles développent un effet de synergie. Elles doivent permettre aux citoyens d’éviter de tomber sous le joug d’une faction ou d’un despote.”
Nous le savons : le populisme et l’extrême-droite s’engouffrent partout où le lien social disparaît. Ce que nous peinons à imaginer, c’est à quel point celles et ceux qui seront en première ligne si l’extrême-droite accède au pouvoir – les femmes, les travailleurs, les personnes LGBT+, les étrangers – seront alors privés de tout filet de sécurité.
Laisser s’effondrer nos corps intermédiaires, c’est démanteler les protections collectives, les espaces de solidarité, les contre-pouvoirs qui peuvent encore faire rempart.
Damien Girard